
Je suis énervé... ouououh, que je suis énervé... Si si, croyez moi.
Mais pourquoi donc, me diras-tu, fidèle surfeur.
Et bien voilà. Au fur et à mesure des années, je peux me targuer d'avoir acquis sagesse et patience dans l'art du bricolage. Je n'en suis plus à réduire en pièce une vitre parce que je tente désespérément de rogner un millimètre sur le bord et qu'à chaque coup de diamant ça fait une écaille façon "same player shoot again". Je n'en suis plus à tenter d'apprendre à voler à un marteau quand je m'en fous un coup sur les doigts. Je n'en suis plus à exploser une scie circulaire rétive, façon puzzle, quand celle-ci refuse d'aller droit malgré tous mes efforts.
Non, je vieillis, je deviens donc, a priori, plus calme.
Mais en ce jour morne d'une glauque météo pluvio-automnale, je m'étais résolu à changer l'ampoule du feu avant gauche de mon véhicule, ampoule passée ad patres, comme sa petite soeur opposée. Je me réjouissais, en pensant à l'action similaire, réalisée quelques semaines auparavant sur cette dernière.
En effet, le feu droit avait décidé il y a peu de rejoindre des cieux plus cléments où jamais il ne pleut comme disait le pouet. A cette époque, bien démuni pour réparer la chose, j'avais fait la somptuaire dépense d'une ampoule ad-hoc ET d'une boîte d'ampoules de secours, au cas ou la maréchaussée aurait pu manifester son ire à l'absence de ce kit lors d'une interpellation.
En conséquence, en ce jour, toujours aussi morne depuis tout à l'heure, je garai mon véhicule le long du trottoir, sortis la boîte d'ampoules suscitée, ouvris le capot et me penchai sur le l'endroit de la panne.
Comme j'avais déjà opéré une fois, j'avais une confiance absolue dans ma capacité à réaliser l'action en moins de temps qu'il ne faut à un éjaculateur précoce pour décevoir sa Dulcinée. Comme la fois précédente, je débutai la réparation en utilisant la torche de mon portable, bien pratique à la nuit tombée. J'ai toujours été joueur, considérant que le challenge est plus drôle quand on y voit que dalle...
Bref, le portable entre les dents, la boîte d'ampoules dans la poche, je plongeai la main directement sur la protection de caoutchouc qui garantit l'étanchéité du phare. Celle ci ne résista pas et je la posai avec délicatesse de côté pour continuer mon oeuvre de garagiste amateur.
Et là... après avoir observé quelques courtes secondes, et avoir bataillé juste le temps que je me souvienne du bon ordre des opérations avec la pièce métallique qui maintenait l'ampoule en place, je saisi la broche d'alimentation électrique de l'ampoule. Cela de la main droite, en essayant de lui frayer un chemin entre le bloc phare et un autre élément du moteur particulièrement mal placé. Il me fût donc impossible, à la première approche, de déconnecter la broche de l'ampoule.
La nature, Dieu et mes parents s'étant évertués de me doter de deux mains de préhension opposée, puisque dextrement, j'étais gauche, je décidai de changer de main. Ce qui n'est pas le cas pour un certain nombre d'autre actions manuelles, j'en conviens. Ainsi, la main droite laissa la place, si j'ose dire, à la main gauche car effectivement, sauf à être affecté d'une ectrodactylie sévère, il est quasiment impossible de mouvoir ses doigts de façon opérationnelle dans un espace aussi réduit.
A priori patient, comme je vous l'ai dit plus haut, je réitérai la plongée de la main droite, non sans avoir au préalable observé attentivement le positionnement de ce que je devais déclipser. Ainsi, en aveugle, puisque la main empêchait de voir quoi que ce soit, je travaillai en joignant image mentale et tâtonnement, ce qui en d'autres circonstances peu me réjouir, mais là, décidément, non.
Le temps s'écoulait sans qu'une soeur Anne de l'électro-mécanique ne puisse me faire espérer le succès. Je changeai donc de main à nouveau... quand ça ne vient pas, ça ne vient pas... il n'y a rien à faire. Penché sur mon labeur, le mal de dos gagnais et à mesure, me passait lentement, mais surement, la varlope sur la patience.
En désespoir de cause, je pris le temps de regarder si je n'avais pas une main supplémentaire, plus agile que les deux autres, mais non, je n'avais pas été touché par la grâce de Tchernobyl, sauvagement bloquée à la frontière française en avril 1986. Comme quoi, le refus xénophobe ne date pas d'hier et on finit un jour par le regretter.
J'en était donc là, et las... Moi qui de coutume suis d'un naturel fort civil, qui m'adresse à mes concitoyens avec des mots choisis et si possible puisés dans ce que les littéraires nomment le langage soutenu, par qui, personne ne le sait, mais soutenu nonobstant, je me mis à avoir des pensées sauvages, acides, méchantes, hargneuses, voire belliqueuses en direction des concepteurs automobiles.
Intérieurement, je vouai tous ces ingénieurs aux gémonies. Je les considérai durablement comme des illettrés du pratique, des analphabètes du bricolage, des handicapés du bon sens. Je me mis à imaginer une correspondance entre la quantité d'agacement, d'énervement, de colère générés par une organisation si mal pensée et la quantité de baffes perdues au service de l'intelligence.
Je sombrai dans un gouffre de tristesse révoltée à l'idée que les parents avaient peu être du se saigner aux quatre veines pour financer les études de leurs abrutis de mômes incapables de penser qu'un jour un quidam aurait à changer seul l'ampoule grillée de sa voiture sans faira appel à un garagiste.
Ayant perdu toute patience, je clipsai à nouveau feue l'ampoule, remis tant bien que mal la protection en caoutchouc, refermai le capot de la voiture en ronchonnant comme un beau diable et rentrai vous écrire ma colère.
Si Dieu existe, qu'il me prenne en pitié et qu'il châtie ces imbéciles d'ingénieurs en les obligeant, au jour du jugement dernier, à remplacer éternellement l'ampoule cramée du phare gauche d'une peugeot 207...