Luis était là, l’esprit vide, l’œil glauque, assis au bord du lit, pris d’une sourde douleur dans le bas du
dos. La demi bouteille de whisky de la veille, précédée par un frugal repas, arrosé toutefois d’un nombre peu raisonné de ballons de beaujolais nouveau avaient laissé
quelques traces brumeuses sur ses synapses faiblement opérationnelles pour l’heure.
Après un flottement de l’esprit dans les vapeurs d’alcool qui tardaient à se dissiper, il se souvint
douloureusement de la raison de cette cuite aussi monumentale qu’imprévue… L’arrestation, les coups et invectives, la fouille au corps sans ménagement au poste. La
cerise sur le gâteau, ou plus exactement biscuit dans le calice, délicate métaphore, avait été ce jeu incessant, trois heures durant du toucher rectal par ce flic pervers, ancien des stups,
relégué au commissariat du coin après enquête de l’IGS pour faute professionnelle grave.
Il avait été nécessaire à Luis, après un tel moment, de noyer l’effroi des sévices subits dans une quantité
d’alcool qui ouvre à l’oubli dans l’instant mais qui sait se rappeler de façon fort pénible aux bons souvenirs de celui qui abuse.
Luis avait tant subit d’outrages et sa gueule de bois était telle que malgré un exercice fastidieux mais
méticuleux de rappel de mémoire, il ne parvenait pas à se souvenir ce qui lui avait valu cette arrestation ? Pourquoi cette bande de flics lui était tombé dessus
alors qu’il se baladait tranquillement au jardin public, à la faveur des derniers soleils doux de la saison. Pourquoi arrivé au commissariat, il avait été livré à ce malade qui n’avait de cesse
que de préconiser le finger fucking.
Certes, Luis n’était pas vraiment un communiant… il en avait vu beaucoup, lors de soirées dans lesquelles il
se trouvait égaré sans plus de conviction que de motivation. Souvent invité, de par son métier, à boire un verre, à manger un morceau, voire à prolonger le repas par quelques substances
illicites, Luis pouvait se trouver dans des milieux sociaux aussi hétéroclites que variés, raves de jeunes facebookers abrutis de décibels, happening d’artistes dézingués ou encore nuits de la
Jet Set où la consommation de blanche était monnaie courante.
Pour autant, était-il coupable de quoi que ce soit ? Il avait beau fouiller dans les recoins les plus
profonds de ses souvenirs… Rien ! Rien n’indiquait pourquoi les condés lui en voulaient à ce point. C’est à ce moment que la sonnerie du téléphone retentit, lui
jouant djingle bell sur le bourdon de sa cathédrale interne, faisant exploser la céphalée latente comme les feux d’artifices les plus fastueux que les tours opérateurs
vantent dans leurs catalogues. Luis décrocha, nauséeux, la migraine bien assise maintenant.
- Allô,
Luis ?
- M’ouais…
- C’est
toujours OK pour 15h ?
- Euhh…
- Quoi, y’a
un blème ?
- Non, non…
mais…
- Mais
quoi ?
- …
- Allô ?
- Pas en
forme…
- Tu te fous
de moi ! L’heure et le lieu, c’est TOI qui les a fixés !
Luis n’eût pas le temps de rétorquer. A l’instant précis où il allait expliquer ses problèmes de la veille et
les conséquences que cela avait eu, un flash le surprit. Flash mental, engendré par les derniers mots de son interlocuteur, qui recomposait tout ce qu’il cherchait depuis un moment. Il raccrocha brutalement, se leva pour enfiler à la hâte un pantalon et un sweet.
L’instant d’après, il était au parc Monceau, en bas de chez lui, se hâtant vers la roseraie où il avait
réussi à dissimuler les vingt petits sachets de blanche, juste avant son arrestation. Malgré le long moment passé au poste, malgré la fouille, malgré les baffes… le
flic sadique n’avait pas réussi à le confondre, à obtenir les aveux de celui que son meilleur ami avait balancé. Dépité, le keuf avait lancé :
- Obligé de
te relâcher, salopard, mais ne nous prend pas pour des cons. Tes mic-macs, on les connait… et on t’aura !… dès demain, je te mets les chiens au cul. Ils sauront bien repérer où t’as planqué
la chnouf… crois-moi, on t’aura…