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  • : Mon objectif est d'explorer l'inconnu d'une vie nouvelle, grâce, entre autres, à l'écriture. Le ton restera le même; souvent impertinent, parfois cynique mais toujours en tentant de garder ce qui nous permet encore de vivre dans ce drôle de monde, l'humour, dans tous ses états.
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13 janvier 2019 7 13 /01 /janvier /2019 20:07

Le train va bientôt partir, je m'assieds côté allée.

En face, de l'autre côté, il arrive, juste un peu essoufflé. Son imperméable mastic, ni élégant ni commun, descend un peu sur un pantalon en velours côtelé propret. Il est chauve, ou presque ; visage bonhomme, yeux sourire. Ce n'est pas un vieillard, mais il a déjà vécu. Il s'installe, calme.

La rame s'ébranle, légers mouvements imprimés aux corps par le passage d'un rail à l'autre. La vitesse croît progressivement. Hormis le bruit mécanique, le silence emplit l'espace. Les sonneries inopportunes des portables ne viennent pas perturber les passagers. Un jeune homme passe, à la recherche du siège qu'il a réservé. Le voyage a commencé.

Au milieu du wagon, le jeune homme questionne un homme plus âgé sur la place qu'il occupe ; c'est celle qu'il a acheté à la SNCF, son billet en témoigne. Le petit monsieur aux cheveux blancs présente ses excuses, expliquant qu'il a, lui aussi, réservé une place, le soixante et onze, mais qu'il ne l'a pas trouvée. Il cède sa place et plaisante, on doit lui avoir vendu une place pour les bagages. Bonne humeur malgré l'adversité.

Le train n'est pas saturé de passagers, le petit monsieur aux cheveux blancs parcourt le couloir, en quête d'un siège libre. Il s'approche, avise la place en face du voyageur à l'imper mastic, le salue poliment et demande si la place est libre, s'il peut s'y assoir. Réponse souriante, positive.

Le petit monsieur aux cheveux blanc se sent invité, par tant de courtoisie, à engager la conversation. Tout en prenant place, gardant sur lui une veste en mouton retourné, il réitère la plaisanterie sur la place que la société de transport lui a vendue, considère sans rage ni animosité qu'aujourd'hui, "la SNCF...  c'est catastrophique" et conclut par une sentence résignée... "C'est comme ça !"

Lui fait son âge, malgré une tenue plutôt sport, jeune. Sous ses cheveux blancs coiffés en arrière, d'un seul côté, une petite boucle d'oreille argentée oscille au gré des mouvements du train. Il porte des lunettes cerclées de métal, mais son regard est vif. Une petite moustache soignée, fine, ourle sa lèvre. Élégance décontractée.

L'imperméable mastic n'est pas sauvage. Il répond aimablement aux paroles du petit monsieur aux cheveux blancs. L'empathie gagne, le contact s'établit, la relation cristallise. Le petit monsieur, encouragé par l'amabilité de son vis à vis, se sent en confiance, il s'ouvre, explique qu'il a visité sa fille pour Noël, à Cholet. L'autre lui répond que de son côté, il a fait de même, mais en région parisienne.

Ils échangent, sur tout, sur rien. Vient la légitimation de leur solitude. L'imper mastic commence. Il est veuf depuis six ans. Le petit monsieur, sans tristesse apparente, voix constante, explique que sa femme est décédée depuis mars seulement. Ils sont seuls. "C'est comme ça !" Ponctuation fataliste d'une situation qui est ainsi, sans espoir de retour. Pas de peine affichée. Résignation intérieure. Pas de place au spectacle.

"C'est comme ça !"

L'imper mastic lâche son âge, soixante seize ans. Il ne les fait pas. Le petit monsieur, soixante quatorze seulement, mais, affres des ans sur le corps, on lui en donnerait plus, malgré un certain dynamisme. Le sujet de fond est trouvé. Ils sont veufs, vivent chacun de leur côté, en se débrouillant.

"C'est comme ça !"

Les enfants, ceux qui sont loin, auraient tant aimé qu'ils se rapprochent. "Mais non, je suis mieux chez moi". "Bien sur, on a nos habitudes". "Et puis mon fils ne vit pas loin... " Il a aussi la bienveillance des proches, le voisin qui veille sur la maison quand le petit monsieur est en voyage, le fils qui vient vérifier si le chauffage de l'imper mastic fonctionne, si le compteur électrique n'a pas sauté.

"C'est comme ça !"

L'imper mastic vit à la campagne, petit village sans commerces, sans services. Le petit monsieur réside dans une petite ville. Alors ils utilisent la voiture, mais très peu, de moins en moins d'ailleurs. L'imper mastic en a encore besoin, pour les courses, mais juste pour ça. Il n'utilise son véhicule qu'en cas de besoin. Il a même changé son ancienne assurance pour une aux kilomètres parcourus. Le contrat en inscrit sept-mille mais c'est bien le diable s'il en fait quatre mille dans l'année.

"C'est comme ça !"

Le petit monsieur a fait un AVC il y a trois ans. Lui non plus ne sillonne plus le pays en voiture, il ne se sent plus assez sûr au volant. Il garde la voiture malgré tout, on ne sait jamais, quand il en use, c'est pour des tout petits trajets. Et puis, il peut prêter son véhicule à son petit fils, il conduit bien. Sa petite fille lui a demandé aussi de pouvoir emprunter la voiture ; mais il hésite... ce n'est pas pareil. Vieux réflexes un peu machistes.

"C'est comme ça !"

Forcément, des hommes de cet âge qui discutent ne peuvent le faire sans évoquer à un moment ou à l'autre ce qui les a fait homme... le service militaire. Leur âge renvoie à une époque où cette obligation civique engageait pour des périodes longues. L'imper mastic a fait dix huit mois en Algérie puis en Tunisie. Un service sans histoire, qui lui a donné le goûte des voyages, l'envie de découvrir le monde. Le petit monsieur voulait s'engager dans le génie, il y a passé deux ans, dont un temps dans le peloton d'élèves gradés. C'est là, à l'armée, qu'ils ont appris à obéir, ils en conviennent tous les deux.

"C'est comme ça !"

Le petit monsieur aurait aimé aussi découvrir le monde, mais ses périples se sont bornés aux Vosges, parce sa femme avait peu l'envie de partir, et surtout, pas trop loin. L'imper mastic avait une épouse moins casanière, ensemble, ils sont allés partout dans le monde. La Thaïlande, le Mexique, l'Afrique du Sud... qu'est ce que c'était bien... et toujours en tour opérator.

Il est temps déjà de reprendre les bagages. Le convoi ralentit, avant de laisser l'un et l'autre retourner à sa maison, à son village, à sa vie, en gardant à l'esprit ce moment où chacun a eu, en face de lui, quelqu'un pour l'écouter.

Les veufs... "C'est comme ça !"

 

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