Fin juillet, Paris, samedi, huit heures et quelques. Le soleil brille dans un ciel émaillé de quelques nuages bienveillants. Peu de monde dans la rue malgré l'heure, week end, vacances des
aoûtiens qui débutent. J'évite l'eau ruisselante du trottoir propret. Aujourd'hui Karcher, hier, simple balai de branches qu'un homme en bleu maniait avec aisance, rapportant au caniveau les
papiers gras qu'une onde artificielle convoyait vers l'égoût le plus proche. Hier, oui, c'était hier, ma première visite à Paris. J'avais neuf ans, l'âge des émerveillements, celui de la
compréhension des choses et de l'infinie curiosité. Quarante quatre années se sont écoulées depuis mais c'était hier. La force évocatrice des images, des bruits, des odeurs. Tout a changé mais
tout renvoit au souvenir. Celui des senteurs du poulet qui rôtit à la devanture du traiteur, celui de la fraîcheur du matin, parfum des arbres de l'avenue mélé à l'odeur de graisse des
moteurs automobiles. Je suis petit garçon. Les images viennent à mon esprit, balades en bateau-mouche, immense enchevêtrement de métal de la fascinante Tour Eiffel, cires du Grévin où je trouve
étrangement calme cet homme assis sur un banc dans la galerie , goûter au salon de thé de la maison de la radio, pour consoler la tristesse d'une visite manquée, premières initiations à la
physique avec la cage de Faraday du palais de la découverte ou la cabine de pilotage de la moderne BB, fierté de la SNCF, rencontre avec l'Egypte par le truchement du masque de Toutânkhamon en
visite au grand palais. Magie de la grande ville. Carrefour d'histoire, de science, d'art... Boulimie de connaissance, tout voir, tout découvrir, tout connaître. Petit provincial, j'absorbe tout,
les commerces ouverts le dimanche, exceptionnel à l'époque, le désordre des puces de St Ouen, le bruit du métro initial, sur rail, le silence de celui qui, sur pneu, se subsitue progressivement
au précédent, miracle du progrès, mort de la petite histoire, celle qui fût, par excellence, la vie. Qui n'a pas connu Paris étant enfant perd la dimension du gigantisme, celle du plus grand que
soi. C'était hier. Maintenant, je me régale de cela, de cette double appréhension des choses, étrange fusion de deux temps qui se rencontrent. Marcher, déambuler, au gré des rues, au gré de la
mémoire, regarder, sentir, écouter pour encore et encore, sans nostalgie, vivre le plaisir d'être à Paris.