"Sois prompt à écouter, et lent à donner une réponse"
Ben Sira
Il est vrai qu’aujourd’hui la vitesse prévaut,
La réponse dans l’heure, et cela sans défaut
N’en peut être autrement au risque de déplaire
Réagir aussitôt que l’info va se faire
Sans prendre quelque temps, celui de réfléchir
De mettre la distance, pour mieux la prévenir
Action et réaction, voilà les maîtres mots
D’un monde où tout est fou, d’un monde où tous les maux
Doivent sans plus tarder, trouver la solution
Fi de la réflexion, il nous faut de l’action
Déjà l’enfant le sait, puisque tout arbrisseau
Il comprend qu’il est roi, que tout lui est cadeau
Que ses parents ne savent comment il leur faut faire
Pour que la tête blonde fruit de leur propre chair
Accepte qu’on refuse ce qui lui est désir,
Comprenne qu’il y a parfois du déplaisir
Mais qu’il est constructif, même s’il a le cœur gros
Que papa et maman refusent le crédo
De l’enfant qui s’emporte dès que la frustration
Le prend au dépourvu, force l’acceptation
Quand assis au bureau, sage comme un agneau
Je vois tout en furie, entrer comme un taureau
Mon collègue d’en face, souvent atrabilaire
Le cheveu en bataille et l’air autoritaire
Sans même me saluer, et tout ça pour me dire
« As-tu reçu le mél ? Je viens de le finir
Et j’attends ta réponse, très vite il me la faut
Cela ne peut attendre… Voilà donc le fléau
De la rapidité. Voilà donc l’abjection
Du manque de répit pour répondre aux questions.
Bien sur si la vitesse, nous amène aussitôt
A l’autre bout du mode, cela prestissimo
Il n’en reste pas moins que cela m’exaspère
Ne n’avoir plus le temps, parce que tout accélère
D’apprécier les choses, de pouvoir acquérir
Une philosophie qui pourrait abonnir
Ce que je vis des choses, ce que je trouve beau
Et si célérité devient le seul ruisseau
De tout ce qui nous fait, c’est une abjuration
Du plaisir de la vie, une abomination.
Aussi le politique, à son plus haut niveau
N’a plus capacité de trouver le repos
Celui qui nous protège de la crise de nerfs
Et nous permet ainsi d’avoir l’esprit plus clair
Afin de distinguer ce qui sera le pire
Trouver la solution ou bien céder à l’ire
Et pourtant on le sait, la colère ne vaut
Surtout pas qu’on y tombe, car elle a le défaut
D’empêcher de penser, de nuire à l’attention
De tous nous révolter, de créer la tension.
Aussi, je vous le dis, allez decrescendo
Pour qu’au bout de la vie vous soyez en écho
De la force du vent, de celle de la terre
Et de celles de l’eau, du feu qui nous sont chères
Pour qu’ainsi vous puissiez, enfin vous accomplir
Etres de la nature, humains en devenir.
Habitants de la terre, votre si beau berceau,
Réagissez au mieux, préparez vos cerveaux
Sans partir en arrière, engagez votre action
Pour enfin accepter la décélération.
La lenteur a du bon, observez l’escargot
Qui toujours à la peine, traîne son lourd fardeau
Sachez vous inspirer, sachez en prendre l’air
Car même s’il ne va pas si vite que l’éclair
Il arrive à son but, et cela sans courir
Sans jamais s’arrêter, sans jamais s’assoupir
Hommes de la vitesse, arrêtez vos assauts
Prenez le temps de vivre, prenez celui qu’il faut
Pour qu’icelui vous porte l’amélioration
Sur le champ, tout de suite, sans autre digression
Devenez fainéant, refusez le monceau
Des actes qu’il vous faudra traiter illico
Prenez de la distance, sachez garder vos nerfs
Et sans hésitation, sachez bien vous abstraire
Des réponses immédiates, sachez les abolir
Au jeu de la durée, sachez-vous convertir.
Prenez donc bien le temps, tout comme le bateau
Qui va sur l’onde claire, navigue au fil des flots
Et qui toujours au port, sans précipitation
Amène les colis, livre les provisions
Apprenez aux enfants, qui sortent du berceau
Ce que veut dire attendre, que signifie repos
Ce faisant vous saurez ménager vos arrières
Pas de fessées de trop, de claques sur le derrière
Vous aurez fait passer comme bon souvenir
Celui du temps qui passe et qu’on laisse advenir
Joie de se réveiller alors qu’il n’est plus tôt
De lézarder un peu quand dehors il fait chaud
De prendre tout son temps pour faire ses ablutions
D’avec le paresseux être en adéquation
Et si la nonchalance ne fait admiration
Prenez la chose bien, ce sera la caution
De votre attachement à ce qui là prévaut :
Indolence de l’aï, celle du cachalot
Flegme de la tortue, qui peine à déguerpir
Chantres de la durée qui lentement s’étirent
Enfin, si vous trouvez que la chose est austère
Mon propos hors sujet, mes phrases cavalières
Alors n’hésitez pas, allez-y allegro
Choisissez la vitesse, celle de l’escargot !