Encore un dodo et c'est le boulot, ça m'est trop !
Fin d'août brûlant, les congés estivaux arrivent doucement à leur terme. Lorraine, sous ensemble du maintenant Grand Est, mais Lorraine. Annoncée au 15 du mois, la mirabelle est mûre, dorée, généreuse. Alors ? Comment résister ? Il n'est de bon Lorrain que celui qui se régale du fruit d'or. Il me faut donc souscrire à la chose, puisque je suis d'ici.
La mirabelle... c'est d'abord la vue. Pas celle des cageots gonflés des fruits immatures qui garnissent pour un temps les étals des hyper arnaqueurs. Non, la vue, ça commence par la ballade.
Campagne vallonnée aux champs bien moissonnés laissant l'éteule attendre le broyage, puis le labour et le semis du blé prochain. Sols secs, bruns, blonds où le tracteur s'affaire ici et là à retourner la terre. Prés encore verts malgré la canicule, où paissent calmement quelques vaches au pis lourd. Les veaux s'amusent un peu sous le soleil de plomb. La route sillonne ici, et fait montagne russe. Le ciel est d'un bleu pur parsemé de nuages assez hauts, qui n'annoncent encore pas les orages à venir.
Et les voilà enfin, ces arbres parfois difformes, ici en bord de route et là bien alignés, en vergers prometteurs. Pris au vent dominant, les troncs obliquent un peu mais toujours de concert. La rectitude n'est pas de mise chez le mirabellier sauf dans les cultures actuelles, où tout est régenté.
Le souvenir d'enfant des vergers paysans laisse en moi cette image de l'arbre irrégulier. Ce sont eux que je cherche, ces vieux mirabelliers, chargés de boules d'or, sapins du plein été. Je sais où les trouver, vieille route de Moyen, près de Gerbéviller, berceau de ma famille. J'y suis. Bref regard vers le haut. Cet arbre a été cueilli, j'avance jusqu'au suivant, la chance est avec moi, il en reste bien largement de quoi me satisfaire. Celles déjà tombées se tachent un peu de brun, commencent à fermenter. Gorgées de sucre, elles attirent les guêpes ; il faut faire attention.
Avant de secouer quelques branches garnies, je prends le temps. Ce petit fruit doré, tavelé de rose par endroit, prune ronde qui tranche dans le feuillage vert ou sur le bleu du ciel, c'est mon identité. Je suis Lorrain, je suis mirabelle. Avant que de la déguster, sa vue suffit à mon plaisir.
Là encore les images remontent à ma mémoire. Souvenez-vous mes cousins, mes cousines, Hélène, Vincent, Philippe, Emmanuelle, et toi aussi Jean-Paul, nos jeux dans la vieille maison de village, aux greniers tout en bois. Images olfactives. La grange qui fleurait bon le foin bien sec, et l'odeur des clapiers, où contre l'interdit, nous allions effrayer les lapins. Souvenirs de vacances, baignés de ce parfum de cuisine que faisaient nos mamans. Civet et tarte, c'était le lot commun, mais quel festin de roi. Fumet de la cocotte qui glougloute sur le feu, fragrance sucrée des mirabelles en tartes généreuses.
La mirabelle, c'est aussi le toucher, celui du ramassage. D'abord secouer l'arbre. Au crochet, à mains nues, c'est selon. Grimper sur les plus basses branches, pour atteindre les fruits qui sont plus haut perchés, exposés au soleil. Loin des méthodes actuelles, où l'arbre est violenté par les machines, mériter la récolte. Toucher l'écorce, c'est déjà dire merci.
Et puis, une fois le fruit tombé, d'un œil averti, repérer, séparer celui qui sera bon de celui qu'il faut laisser aux insectes voraces attirés par le sucre. La vue c'est une chose, mais le toucher importe autant. C'est lui qui dit si le fruit est trop mou. La main ramasse, trie, lance dans la cagette, ici la mirabelle qui ira au tonneau, là celle à la confiture, ailleurs encore celle destinée aux tartes et conserves. Main qui travaille et récompense. Une poignée pour la cagette, une mirabelle pour le bec.
L’œil, la main... le nez, tout est sollicité. Ce parfum ! Quel parfum ! Suave, doux, chaud, incomparable. La récompense du cueilleur. Complexité des arômes. Mirabelle mûre à point, promesse de régal du fruit sitôt croqué, d'une tarte annoncée ou de la confiture dégustée en hiver. Mirabelle avancée qui sent déjà le schnaps. Tout ça sur fond de terre, d'herbe sèche, de bois. La mirabelle, c'est ça aussi.
Et forcément, c'est inimaginable de ramasser ces fruits sans en manger. Choisir, une belle, mûre à point, gorgée de sucre. Fruit encore recouvert par la pruine, gage de fraicheur, qui éclate en bouche. Croquer, laisser le jus, chauffé par le soleil, réjouir les papilles. Mâcher la chair douce. Bouchée de terroir, sentiment d'appartenance. Déguster à la source, fruit tombé, fruit cueilli, varier les plaisirs. Et puis recommencer, avec l'arbre suivant, ce n'est jamais assez. Difficile d'arrêter, si ce n'est par raison, pour éviter plus tard quelques déconvenues.
Et l'ouïe me direz-vous, jamais sollicitée ? Et bien si, car je l'avoue ici, cueillir la mirabelle, ou bien la ramasser, c'est déjà un plaisir. Mais s'il en est un autre, qui sublime la chose, c'est bien celui, coupable je le sais, d'aller à la rapine. Plaisir de gamin, ancré au fond de moi. Alors pour sur, il faut faire attention, être discret, guetter. Un coup par ici, et toujours en éveil; les oreilles attentives, ne pas se faire pincer ! Curieux mélange de silence apaisé, celui de la campagne où bruit une lointaine machine et de silence inquiet, celui d'où surgira le quidam venant me déranger. Et si le sucre n'est pas utile à la tarte aux mirabelles, l'adrénaline l'est à la récolte. Rapiner, c'est un voyage dans le temps. Sentiment enfantin de la transgression en une douce effraction.
Maintenant, ils sont bien là, dans mon panier, ces fruits. Magnifiques, même si un peu petits, même si pas assez mûrs.. car ce sont des mirabelles. Fruit lorrain par excellence, qu'on ne trouve nulle part ailleurs, avec ce même parfum, avec ce même goût. Je le sais, j'ai fait l'expérience de goûter des fruits de mirabelliers lorrains transplantés, en Bourgogne, dans les Alpes... ce ne sont pas des mirabelles, mais des prunes jaunes, perte d'identité, déracinement absolu. Le terroir, toujours le terroir, rien que le terroir. La mirabelle est lorraine ou n'est pas, et je déclare cela sans chauvinisme aucun.
Enfin, trempé de sueur, rempli de plaisir, panier gonflé des fruits qui me réjouissent. Il reste, pour aller au bout de la tradition, à ouvrager la cueillette, tarte, et confiture avec le surplus. Là aussi, tradition familiale oblige, il s'agit de réaliser la tarte comme la préparait feu ma mère. Sur une abaisse de pâte feuilletée pas trop épaisse, les mirabelles dénoyautées, coupées en deux, sont rangées en cercles concentriques, serrées les unes contre les autres, par moitié, en prenant soin qu'il n'en manque pas, que le rang soit plein, bien plein. Une tarte à la mirabelle se doit d'être généreuse, riche en fruit gorgés de jus.
Four très chaud au départ pendant quelques minutes pour réussir la cuisson du feuilletage, puis température réduite afin que les fruits ne brûlent pas. Si la température est précise, le temps est celui de l’œil... Comme disait une tante : "tu vois bien !" Effectivement, en surveillant à la fois l'aspect de la pâte, la couleur du fruit, la quantité de jus exsudée, on sait ! Habitude ? Souvenir, une fois de plus ? On sait, c'est comme ça.
Et recommence le festival des sens. Entre la façon pour préparer la tarte, l'odeur des fruits manipulés, le plaisir, toujours, de manger une mirabelle fraiche, l'attention portée à l'aspect, à la couleur de l'ensemble, pour enfin, une fois que la tarte a tiédi, pouvoir déguster ce met si délicat.
La mirabelle... c'est ça.
Spéciale dédicace à la petite Nini que j'ai eu le plaisir d'emmener à la rapine aux mirabelles, souvenir d'une bonne rigolade.
Enfants hydrofuges ou balançoire anti-canicule défaillante ?
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Avec des images comme ça, pensez à vider le cache de votre ordi, sinon, il va y avoir beaucoup de monde dedans...
"Allez les gars, on y va, y'a encore de la place... "
Vraiment, videz le cache, parce qu'il n'y a pas que les piétons.
On vous l'avait dit !
"Quand c'est l'heure de rentrer, c'est l'heure de rentrer, et pis c'est tout !"
Dans les sports, il y en a qui semblent un peu tartes, mais là, après le lancer de nain, qui a encore la latitude de dire "Arrêtez vos conneries", je vous ai dégoté un sport, jusque là inconnu à titre perso, et qui est particulièrement imbécile : le lancer de renard ! (Véridique !!!)
Discipline qui consiste, dans une enceinte dans laquelle on lâche des renards, pour des équipes de deux participants humains, à tenir une corde et à tirer sur celle-ci d'un coup sec quand un renard l'enjambe et le faire valser le plus haut possible pour gagner.
Comme on dit : "Plus con, tu meurs"
Une chance, cette discipline a disparu, mais cela prouve que la bêtise humaine ne date pas d'hier.
"On a essayé avec des cordes à piano mais ça coupait le goupil en deux...
c'était moins drôle et plus couteux en bestioles"