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Voilà, d'habitude je suis plutôt dans la rigolade mais aujourd'hui, c'est la colère qui me met en mouvement d'écriture. Pas la colère habituelle contre tel ou tel guignol politique, non. Aujourd'hui c'est la colère contre l'imbécilité des systèmes... Kafka dites vous ? On y est.
Le cas est simple et poignant. Comme dans bien des endroits de France, d'Europe, du Monde, il y, là où je travaille, des enfants sans papiers de parents eux mêmes sans papiers. Famille qu'on a hébergé un temps, puis, pour je ne sais quelle raison, expulsée du logement où elle était.
Certes, ces enfants et ces parents ne sont pas à la rue puisqu'ils sont aujourd'hui hébergés... à deux familles dans un même endroit, loin de l'école. Les parents, pour éviter d'ajouter de la détresse à la détresse, se saignent pour qu'au quotidien, ces deux gosses puissent continuer leur scolarité dans l'école dans laquelle ils l'ont commencée, dans l'école où ils ont appris à parler français, dans l'école où ils se sentent bien, dans l'école où ils ont des copains, des copines, dans l'école où ils n'ont pas peur.
La démarche impose à ces gosses de se lever tôt, car leur lieu de résidence est très éloigné de l'école. Elle impose que cinq jours par semaine, ces deux gosses prennent le bus pour un voyage long et fatigant, qu'ils fassent de même le soir, pour retrouver leur lieu de résidence afin d'essayer de vivre et faire leur travail scolaire comme leurs copains. Elle impose que ces deux enfants mangent à la cantine, et c'est un bien car c'est certainement le gage d'un repas assuré, équilibré, pour la journée. Alors, les parents reçoivent des aides, minimes, mais des aides. Financières... sous une forme qui ne permet pas de payer la cantine... absurdité absolue.
J'ai vu se débattre ma collègue, Directrice de l'école, pour que ces gosses là puissent manger à leur faim, pour que leurs parents puissent ne plus avoir peur du manque, pour que ces humains vivent dignement.
J'ai assisté au jeu de la patate chaude que chacun (chaque instance sociale) se repasse en expliquant son incapacité à aider ces gosses et leurs parents... J'ai entendu des gens de bonne volonté tenter de nous aider pour résoudre ce casse-tête (qu'ils soient ici remerciés) mais qui pris dans ce grand jeu de la paperasserie parfois odieuse, sont pris au piège de leur propre institution qui ne peut rien pour ces deux gosses, car leur cas n'entre pas dans la bonne case...
Rationalisation de la misère, déshumanisation administrative, résignation... Et pourtant, tous les jours, je les vois, ces deux gosses, venir à l'école, tenter d'étudier, d'apprendre et contre toute attente, de vivre.
Je ne peux me résigner à accepter cela sans rien faire. Certes, je ne peux pas prendre sur mon dos toute la misère du monde... et il y en a ! Mais là, je travaille avec ces gosses, je les croise au quotidien, je leur parle, les réprimande ou leur souris. En un mot, je vis avec eux.
Alors, me vient à l'esprit la légende du colibri du conte amérindien que cite Pierre Rabhi dans ses écrits :
« Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés et atterrés observaient, impuissants, le désastre. Seul le petit colibri s'active, allant chercher quelques gouttes d'eau dans son bec pour les jeter sur le feu. Au bout d'un moment, le tatou, agacé par ses agissements dérisoires, lui dit : « Colibri ! Tu n'es pas fou ? Tu crois que c'est avec ces gouttes d'eau que tu vas éteindre le feu ? » « Je le sais, répond le colibri, mais je fais ma part » .
... et mi aussi je veux être un colibri, pas pour la taille, j'en vois déjà qui se gaussent, non, mais bien dans l'action. J'avoue que je ne sais pas encore bien comment agir. Je me dis que je peux peut-être me priver un peu, qu'une toute petite partie de mon salaire pourrait aider ces deux gosses à continuer à bénéficier d'au moins un repas correct par jour, cinq jours par semaine, pour quelques jours, pour quelques semaines, pour quelques mois.
Moi qui suis au chaud, moi qui mange à ma faim, moi qui vis dans un appartement spacieux, moi qui n'ai pas eu à fuir mon pays avec mes deux gosses, la peur au ventre, la perpétuelle angoisse du lendemain, je vais me battre, apporter ma goutte d'eau, comme le colibri.
Et si l'un ou l'une d'entre vous, mes cher(e)s surfeurs/surfeuses, vous pensez que vous êtes en mesure d'apporter aussi une goutte d'eau, faites le moi savoir ne serait-ce qu'en laissant un commentaire sur le blog.
Ce n'est pas dans mes habitudes de réclamer, mais aujourd'hui, les arcanes administratives, l'injustice, la bêtise humaine (oui, il y en a aussi) m'ont révolté, d'où ce très long post en forme d'appel que je vous remercie d'avoir lu jusqu'au bout et si vous connaissez autour de vous d'autres colibris... faites savoir qu'il y a un incendie à éteindre dans mon école.
Je dédie ce post à ces deux gosses et à Nath, Blandine, Véro qui se battent pour eux.