Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Le blog de plaisir-de-mots.over-blog.fr
  • : Mon objectif est d'explorer l'inconnu d'une vie nouvelle, grâce, entre autres, à l'écriture. Le ton restera le même; souvent impertinent, parfois cynique mais toujours en tentant de garder ce qui nous permet encore de vivre dans ce drôle de monde, l'humour, dans tous ses états.
  • Contact

Rechercher

9 mars 2021 2 09 /03 /mars /2021 18:47

Lettre ouverte à Monsieur Serge, paludier à Guérande.

Monsieur Serge

Lors d'un passage dans votre belle ville, nous sommes passés devant votre boutique. Nous avions au préalable traversé le marais salant à petite allure pour y découvrir son paysage insolite, sa géométrie aléatoire. Pour y observer aussi la culture et la récolte du fameux sel de Guérande et de sa réputée fleur.

Forcément, nous voulions quérir le produit local. Arrêtés à la grande officine coopérative qui fait commerce du sel local et de ses dérivés, les prix pratiqués nous en avaient vite éloignés. Nous avons gagné la ville la plus proche, Guérande, en escomptant bien trouver un producteur du cru indépendant.

Donc, déambulant sur un trottoir de la vieille ville, nous avons vu une brouette, la vôtre, dans laquelle trônaient quelques boîtes de fleur de sel qui n'avaient pas été sujettes à un marketing de bon aloi pour attirer le chaland. Nous nous sommes arrêtés et nous sommes réjouis de pouvoir faire vivre un petit artisan paludier à son compte.

Décision fut prise d'acheter le sel tant attendu à notre retour d'une balade en ville. Votre sel ! Les prix étaient un peu plus chers qu'à la coopérative, flûte ! Mais qu'importait, nous étions finalement contents de vous faire vivre. Et puis, il y avait la couleur locale de votre commerce.

Vous, vieux paludier, à la figure burinée, à la peau brûlée par le mariage du sel, du soleil et du vent. A la mine fatiguée d'un homme sans âge qui a trimé dur, sa vie durant, au grand air, par tous les temps. Assis dans l'ombre de ce couloir qui fait office de magasin. Vieux vêtements fatigués, eux aussi, en chaussettes de laine dans des nus-pieds biscornus. Étrange vision.

Vous commercez dans un sombre et pauvre gourbi, plus profond que large, haut, très haut, avec des étagères bancales jusqu'au plafond, regorgeant de paquets de sel mal rangés, de sachets mal fermés, de boîtes improbables, cabossées, avec une étiquette minimaliste affichant vos coordonnées. La pâle ampoule qui pend au bout d'un long fil peine à éclairer correctement le lieu. Seule la lumière du soleil qui pénètre à l'intérieur de votre grenier à sel, par l'étroite porte sur la rue, permet de voir le produit de votre travail .

Nous avons donc acheté vos produits, payé ce que nous vous devions, pris les sachets pour repartir vers notre véhicule, contents de rapporter le produits local qui servirait de petit cadeau à nos proches. Mais à la prise en main des deux kilos de sel de mer et des deux boites de fleur de sel... une étrange impression m'envahit. Sensation d'une masse presque trop importante en regard de celle affichée. Saturation du sel en eau, certainement.

Et puis il eut cette humidité collante sur les sachets qui confirmait l'intuition première. Mais bon, la chose, diffuse, s'évapora rapidement grâce à la satisfaction d'avoir acquis un peu de l'or du coin. Nous pourrions offrir un peu de ce pays à des amis, leur donner envie de venir goûter ce bout de France. Le voyage du retour effaça rapidement la suspicion.

Mais voilà, Monsieur Serge, paludier à Guérande, rendu à domicile, j'étais en cuisine le lendemain, avec la ferme intention d'utiliser la fleur sel de votre production. J'attrapai donc la petite boite plastique. Mais juste avant de l'ouvrir pour la première fois, je fus pris de la même sensation qu'au moment où je vous l'avais achetée.

Intrigué, je sortis la balance de ménage. Prémonition ? Toujours est-il qu'en posant les 125 grammes de fleur de sel annoncés sur l'ustensile, je vis noté 100 grammes, boite comprise ! Je sentis monter en moi, comment dire... de l'agacement, puis de la rogne. Cela pour avoir été grugé par vous, Monsieur Serge D. L. paludier à Guérande. Je n'aime guère me faire vaseliner, alors avec du sel...

Encore dans le doute, je vérifiai le kilo de sel que j'avais aussi acheté dans votre antre. 920 grammes de sel... très mouillé. Et pour être bien sur que le désagrément profond ressenti par le fait que vous nous ayez bellement floués, je pris un autre sachet de fleur de sel de 125 grammes, acquis dans un autre lieu. Le sel y était sec, parfaitement sec. Le sachet pesait 127 grammes, soit 125 grammes de sel, comme annoncé et 2 grammes de contenant.

Ainsi, Monsieur Serge, paludier à Guérande, c'est en filoutant votre clientèle que vous faites votre beurre... addition salée, pour le moins. 20% plus cher qu'annoncé puisque de 125 grammes on passait à 100 et d'un kilo à 920 grammes. Et cela sans compter sur la dessication qui aggravera la chose en faisant encore monter grassement le prix au kilo.

Alors, Monsieur Serge, paludier à Guérande, de deux choses l'une, où vous n'avez pas les outils nécessaires pour faire les dosages corrects dans vos contenants, peser 125 grammes avec une louche, ça génère un delta important, où vous siphonnez volontairement vos clients. Seconde hypothèse, peut-être voulez vous la jouer touristique "allez, un petit peu d'eau de mer résiduelle dans votre sel, ça vous fera un souvenir"

Dans tous les cas Monsieur Serge, paludier à Guérande, sachez qu'à présent, quand je repense à vous, mal assis dans votre gourbi, je ne vois plus le visage buriné d'un homme fatigué par le labeur, mais la trogne d'un brigand doublé d'un fraudeur bouffé par le sel. Pas besoin de marketing, on fait confiance au vieux paludier, on lui achète son sel, c'est tellement plus couleur locale. Nous nous sommes faits piégés, même si ce n'est pas intentionnel de votre part... quoique.

Rassurez-vous, je ne compte pas vous balancer au fisc, ce n'est pas le genre de la maison. Pour autant, Monsieur Serge, paludier à Guérande, dites vous bien que je vous ferai de la publicité. "Si vous passez à Guérande, allez donc rue... il y a là un vieil artisan paludier qui vend son sel, loin des grands magasins. Franchement, ça vaut le détour, le coup d’œil, mais surtout, surtout... n'achetez pas ses produits, sauf peut-être par pitié"

Bien à vous, Monsieur Serge, paludier à Guérande.

Partager cet article
Repost0

commentaires