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  • : Le blog de plaisir-de-mots.over-blog.fr
  • : Mon objectif est d'explorer l'inconnu d'une vie nouvelle, grâce, entre autres, à l'écriture. Le ton restera le même; souvent impertinent, parfois cynique mais toujours en tentant de garder ce qui nous permet encore de vivre dans ce drôle de monde, l'humour, dans tous ses états.
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17 avril 2020 5 17 /04 /avril /2020 13:59
Aujourd'hui, je vous invite à bien regarder la forme de ce post. Ne ressemble-t-il pas à une bouteille à la mer, porteuse d'un message ? En effet, je vous écris depuis mon île déserte où je suis arrivé il y a précisément 35 jours. Souvenez vous, ce vendredi soir, nous savions que le lundi serait étrange, sans les élèves. On s’était quand même dit “A lundi” Et puis...
 
Je n’imaginais pas, en rentrant ce soir là, que j’avais pris un bateau sans retour sur l’océan de l’angoisse. Quand j’ai pu accoster, j’étais un peu perturbé par ce qui advenait mais n’ayant pas encore pris conscience de la force du tsunami, je me disais que je reprendrai la mer le lundi pour aller apprendre, même à distance, à nager à mes élèves en difficulté, dans les embruns de la cognition chaotique.
 
Puis il y eût cette annonce, entendue sur un petit poste à transistors : “tu es trop gros, tu n’as pas fait de sport depuis longtemps, tes poumons ne sont plus adaptés au travail de la SNSM... reste chez toi !?!” J’avoue que ça m’a fait un choc, mais bon... Quelques jours avant l’heure, j’étais condamné à vivre seul. Et pour combien de temps ???
 
Alors il a bien fallu que je m’organise.
 
Par chance, après un bref tour d’horizon, j’ai su que j’avais encore de quoi vivre quelques jours. Oui, quelques jours, car j’avais toujours en tête cet adage, mis à mal depuis : “Après la pluie... le beau temps” C’était d’autant plus compliqué à intégrer que le beau temps était effectivement là, dehors... !?! J’avais donc assez de vivres pour tenir, assez de ces choses qui permettent de ne pas avoir tout de suite envie d’en finir. La réserve de coquillettes était intacte, les tonneaux de rhum étaient pleins.
 
J’ai connu la première déconvenue au moment fatidique où il faut utiliser le PQ. Il avait été mouillé par les flots du dernier voyage. Ce fût une catastrophe. Puis j’ai vu mes réserves alimentaires diminuer à mesure du temps. J’allais être dans l’obligation d’être le plus inventif possible.
 
Je pris quelques jours pour faire le tour de mon île de 80 m² à la recherche de subsides, d’eau potable... Dès la première expédition, la chance m’a souri, j’ai trouvé une source, dans la cuisine. Le plus extraordinaire de la découverte fut que cette source pouvait, en fonction de ma volonté, couler froid... ou chaud. On ne connait jamais assez la puissance de nos pouvoirs psychiques.
 
J’avais donc de l’eau et ne risquais plus de mourir de soif. D’autant moins que le jour suivant, je pus constater que mon île abritait deux autres points d’eau. L'un m'offrait une onde claire et courante, dotée des même propriétés que celles découvertes la veille, l'autre était plus petit, avec une eau stagnante, mais renouvelable à souhait.
 
Je possédais encore assez de vivres pour continuer mes recherches, mais elles diminuaient jour après jour. Il me fallait faire vite. Le jour trois, je partis en direction du nord. Je n’avais pas de boussole mais l’orientation du soleil et son trajet m’avait édifié. Après quelques heures de marche, j’ai eu le plaisir d’arriver, entre salle à manger et salon, au milieu de la luxuriance. Bégonias, pieds d’avocat, ficus nains, anthurium, chlorophytum... foisonnaient. Bonheur du jour vite retombé, car parmi tout cela, pas un brin de persil, aucune carotte, et pas plus que de poireau que de patate douce...
 
J’ai tenté, avec un peu d’appréhension, de mâcher une feuille de zygocactus. Déçu par la saveur, je fus bien marri quelques temps après, quand mes intestins me signalèrent que la plante avait des effets purgatifs très puissants. Heureusement pour moi, je me trouvais à ce moment là près des avocats à larges feuilles. Le salut tient parfois à peu de choses.
 
Lors de cette traversée végétale, je constatais avec un certain étonnement que si la flore était bien présente, aucune faune, à l’exception des moucherons, n’avait colonisé le lieu. Pas de singe, pas de tigre non plus, ce qui m'arrangeait ; pas de chauves souris et encore moins de pangolin, cet animal qui, sous des dehors inoffensifs, est d'une fourberie sans nom. Je n’aurais donc pas de protéines à me mettre sous la dent. Il fallait que je réfléchisse derechef.
 
Au bout du quatrième jour, commençais à être tenaillé par la faim. Et le début de la faim, c’est éprouvant à vivre. C’est lors d’une n ième traversée vers le salon, machette et sagaie à la main, que je suis tombé sur la ressource tant convoitée... du poisson ! J’avais trouvé du poisson. N'ayant pas prévu cet inespérée trouvaille, je n'avais pas anticipé les outils nécessaires à la capture.
 
Je dus retourner jusqu'à l'armoire à linge dans ma chambre, à trois jours de marche, afin de confectionner un filet de pêche. Quelques ficelles de string, habillement tressées une journée durant, me permirent d'espérer en un festin royal. Je repris donc la direction du salon, en serrant les dents, car marcher sans manger à nouveau durant trois journées est un véritable enfer.
 
Au moment où je mettais les pieds au bord de l'endroit prometteur, je dû me résoudre à une cruelle déception. Je constatai avec tristesse et amertume, qu'entre le temps où je l'avais vu au départ et l'instant présent, mon poisson rouge était bel et bien mort de faim. La privation de daphnies pendant une trop longue période avait eu raison de lui. De rage, je jetai le filet loin de moi, plongeai dans le bocal, dévorai la plante verte qui trônait au fond et léchai les algues collées contre la paroi.
 
La colère passée, je m'assis au bord de l'aquarium pour réfléchir. Il me fallait quitter l'île déserte. Je n'avais plus que cette alternative pour continuer à vivre. La seule solution résidait en la fabrication d'un frêle esquif qui me porterait vers un ailleurs plus accueillant. Je me mis donc en demeure de chercher les matériaux ad hoc pour ce faire. Ne disposant que de mes dents comme outils, j'utilisai celles-ci pour arracher, une à une, les lames du parquet. Je détricotait le filet afin d'utiliser les ficelles de string pour lier les morceaux de bois.
 
Une fois l'embarcation maladroite achevée, je réalisai que j'avais omis de penser à la rame qui ferai avancer l'ensemble. J'avais tellement serré les liens qu'il m'était impossible de les défaire. Je me résolus à partir à la recherche de l'objet qui permettrait à mon radeau de se mouvoir. Je finis par le trouver, au milieu des louches, fouets, écumoires et autres ustensiles. Là, discrète, la spatule plate m'attendait, j'étais sauvé.
 
Cependant, afin de ne pas périr noyé à quelques miles du rivage, il fallait que j'éprouve l'insubmersibilité de mon embarcation. Regroupant toutes mes forces, je la trainai, une semaine durant, vers la salle de bain. Je passai encore un ou deux jours à la couper en deux pour qu'elle puisse franchir la porte et autant pour la reconstituer. J'arrivais au bout de ma peine quand je réalisai que j'avais complétement oublié que dans ma salle de bain, quelques années auparavant, j'avais remplacé ma baignoire par une douche... l'impact psychique fut fatal.
 
Au bout de trente deux jours, c'est en repartant vers ma couche, soucieux, affaibli, démoralisé, n'ayant que l'envie de me laisser partir, allongé seul, vers un monde meilleur, que je l'ai vu, au loin. Il se tenait là, devant moi mais à distance, sculptural, noir d'ébène, cheveux crépus magnifiques. Il ne portait qu'un pagne qui lui tombait jusqu'aux genoux, cachant mal une masculinité hors norme. Me levant avec peine, je m'approchai un peu, avec précaution, afin de ne pas l'effrayer. Il ne bougea pas.
 
Je reconnais que dans un premier, je pensai à le manger, puis, mon éducation chrétienne me revint à l'esprit : aimer son prochain, certes, mais pas en ragout. Alors je me mis à lui parler doucement, calmement, en souriant. J'étais heureux, enfin, ma solitude touchait à sa fin. Enfin, nous allions pouvoir échanger, discuter, et peut-être même plus, si affinité. Nous allions pouvoir réfléchir à une organisation sociale pour un monde nouveau. Pour la première fois depuis longtemps, je retrouvais espoir.
 
Au quotidien, j'allais le voir. Il n'avait pas bougé de place depuis le premier jour. "Patience mon garçon" pensais-je régulièrement "viendra le jour où il acceptera de venir vers toi". Jour après jour... j'étais là, face à lui. Il était là, face à moi, statuaire, dans la constance de son attitude initiale. Toujours mutique. Il ne comprenait certainement pas ma langue. "Il faudrait que je la lui enseigne" pensais-je "après tout, c'est mon métier"
 
Dans un premier temps, le patronyme étant ce qui fonde le lien, je cherchai comment le prénommer, car il n'avait toujours pas ouvert la bouche pour me donner la moindre indication sur son petit nom. Regardant le calendrier, pointant le jour de notre rencontre, je lus dimanche. Je ne sais pourquoi, cela ne me convint pas. Jour du Seigneur peut-être, jour chômé,... ça ne me plaisait pas. Je reculai au hasard et tombai sur vendredi... Impossible à dire mais je n'en avais pas envie non plus, impression de réchauffé peut-être. Je parcourus du doigt la longue liste des prénoms pour enfin trouver celui qui me seyait et qui lui conviendrait certainement : Toussaint ! Non pas dans son acception religieuse, mais bien par rapport à l'esclavagisme que je n'envisageait pas, j'avais trouvé l'ouverture.
 
Les jours passèrent, notre relation quotidienne n'évolua pas d'un iota. Je sentais la lassitude me gagner. Était-il sourd ? Paralysé ? Il fallait que j'en aie le cœur net. Un matin, je pris mon courage à deux mais et la sagaie de l'autre, par précaution. J'avançai vers lui lentement, très lentement, à pas feutrés. Il ne bougeait toujours pas, semblant absent à ma présence. Arrivé à quelques décimètres de lui, je réalisai avec effroi l'erreur due à ma myopie. J'avais en face de moi la statuette malgache, offerte quelques années auparavant par un ami, posée sur l'étagère de mon salon...
 
Depuis... en n'attendant l'après... j'écris n'importe quoi.
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commentaires

B
Quelle belle bouteille à la mer porteuse d'un beau message ! <br /> Et quelle aventure ! Je ne me lasse pas de te lire !!!
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