
Hall de gare. Brouhaha des passants. Nuit tombée. Froid humide. Soufflerie. Eclairage tamisé dans la salle des pas perdus. J'attends. Assis, puis debout. Déambulation. Tuer le temps. Voyageurs immobiles, voyageurs en transit. Regards tournés vers l'heure, au tableau des départs.
Au milieu de tout ça, les notes. Piano caché. Mélodie douce. Diffusion électrique ? Non. Le son vit, monte, s'interrompt, reprend. Rares maladresses. Douceur. Sans prendre de puissance, les notes sont là, surpassent les autres sons ; renvoi aux oubliettes des bruits perturbateur.
L'oreille écoute, le cerveau sélectionne. Piano omniprésent, pénétrant. Ligne rythmique, égrenage mélodique, frais, dans les aigus. Je cherche, marche, plein de la musique. Perles dispensées par les cordes frappées, légères, aériennes, éthérées.
L'instrument est là, dans un petit écrin. Espace intime ; deux bancs pour s'assoir, écouter, vitres de verre pour marquer l'espace sans enfreindre la musique. Vibrations du piano, apprivoisé par deux mains fines, délicates.
La jeune fille est là, manteau sur les épaules. Elle joue, loin du monde. Ses amies écoutent, sans bruit, à deux pas. Elle s'arrête, leur jette un regard, échange un mot, relance ses mains sur le clavier.
Doigts si fins, doigts si forts. Ils courent sur les touches. Main gauche en pénitence, toujours les mêmes notes, en sorte de bourdon. Main droite libérée, qui va et vient, sur le blanc et le noir. Fascination du son, captation visuelle. Musique espace temps.
Le hall a disparu. Je n'attends plus de train. Voyage commencé, sans wagon, sans motrice. Subjugué, je veux savoir. Philip Glass ? J'hésite. Pourtant, forme de ritournelle, notes jouées en cycle. Est-ce lui ? Pas sur. Je n'ose intervenir, couper le flot sonore, la rivière des notes qui m'a emmené loin. Trop de curiosité, j'attends la pause.
Les mains dansent encore, avec une souplesse à faire pâlir d'envie les meilleurs athlètes. Elles glissent sur les touches, les effleurent, les caressent. Enfin c'est le moment. Je m'approche. Piano encore chaud de ce temps musical. Silence, encore plein des notes évanouies.Jeune fille retournée vers les siens.
J'ose. Je dérange, en toute discrétion. Je questionne. Elle ne sait pas, Glass ne lui dit rien. Tirant son téléphone d'une profonde poche, elle cherche... et me dit la réponse : Yann Tiersen.
Remerciements, courtoisie, sympathie. Elle m'a ravi le coeur. La musique reprend, accompagnant mes pas vers ma destination.
Heureux d'avoir vécu cela, je me dis que parfois, dans ce monde cruel, le bonheur a sa place.