Elle se trouvait là, dans le métro qui reconduit chez lui le parisien exténué de sa journée. Dehors, le jour baissait déjà, la température aussi, affres de l'automne. Elle était mal assise, un peu avachie. Le torse légèrement plié, le bassin fuyant vers l'avant du siège.
Elle n'avait pas d'âge. Elle avait des âges. Celui de ses mains, osseuses, aux articulations noueuses, aux ongles trop longs, non manucurés. Celui de son visage, dont un front à peine ridé, mais une gorge qui trahissait les ans. Celui d'une bouche mi-close, découvrant une rangée de dents un peu jaunes. Celui d'une mâchoire supérieure peut-être édentée, masquée par une lèvre tombante.
Elle semblait fatiguée, en plus d'être lassée par le trajet. Son souffle tenait du soupir plus que de la respiration. Les yeux vides, enfoncés dans leur orbites, pointaient vers l'infini. De temps à autres, le temps d'une déglutition, la mâchoire inférieure, à peine prognathe, rejoignait la mâchoire supérieure. Dans le rictus associé, l'absence de dents devenait flagrant. Elle était petite, maigre, semblait usée par la vie, vidée par le labeur.
Travaillait-elle encore ? Elle ne paraissait pas avoir atteint le temps de la retraite. Ses mains... ses mains disaient le travail du présent. Avait-elle trié, la journée durant, à la chaine, des objets à emballer ? Avait-elle, pendant huit heures, serré mille fois le même écrou, sur la même pièce, sur mille voitures qui avaient défilé sous ses yeux ? Avait-elle passé le balai, puis le lave-pont sur des hectares de sols salis par les employés de bureau ?... Jamais je ne le saurai, mais elle était là, dans le métro, à mes yeux éreintée.
Le trajet lui pesait.
Sa poitrine elle aussi témoignait de l'âge. Petite, mais un peu tombante, elle se soulevait profondément pour se transformer en long souffle de lassitude à l'annonce d'un retard de la rame, d'un contretemps du voyage qui vraisemblablement, lui devenait interminable.
Le froid automnal n'était pas suffisant pour qu'elle soit chaudement vêtue. Une chemise blanche rayée finement de noir, très froissée, s'ouvrait sur un informe tee-shirt fuchsia à col rond. Son pantalon noir tire-bouchonnait un peu au dessus de chaussures reebok qui dataient. Un sac Samsonite posé sur ses genoux complétait le bagage au sol, grand sac plastique garni d'objets divers.
Rompue de fatigue, du moins, me semblait-il, après avoir maugréé une fois encore, elle porta la main au sac, tira avec quelque peine une fermeture éclair rétive qui découvrit un intérieur délabré, une doublure déchirée. Elle en tira une paire de lunettes d'un autre temps. Ne les ajustant pas sur son nez, elle les laissa dans la position première, de travers.
Ses mains décharnées plongèrent à nouveau dans le cabas fatigué. Elle le fouilla, poche après poche. Elle en retourna le contenu avec une certaine nervosité mais sans que rien ne s'en échappe, et finit par trouver, dans l'invisible fatras, l'objet convoité.
Elle sortit ce que je reconnus comme un journal. Ce dernier était aussi froissé que la chemise de la dame, plié dans tous les sens, comme on le fait à la hâte quand, plongé dans sa lecture, on est surpris par l'arrêt du transport. Une fois le chiffon de papier à moitié déplié avec difficulté, elle se mit à lire, les lunettes sur le nez, toujours asymétriques.
A l'article suivant, la dame tourna la page. Je découvris alors ces deux inscriptions, dans les polices ad hoc, en haut de page, la première sur la gauche, la seconde à l'opposé : Le Monde puis Eco + Entreprise !
Stupéfaction....