Pour la première fois, ce matin, lors de la période de marche pour la rééducation cardiovasculaire, je discute avec un de mes congénères pathologiques. J'avais pris l'habitude de marcher seul, à bonne allure, marche forcée comme ils disent, mais là, le septuagénaire alerte m'a rejoint, emboité le pas et engagé en même temps la conversation.
- avant j'étais sportif de haut niveau me dit-il, avec un fort accent rocailleux des Balkans
- oui... !?
- maintenant, je suis sportif de bas niveau... mais je suis toujours le premier ! continue-t-il hilare
La chose me fait sourire et ne ralentissant en rien mon allure, je m'intéresse.
- quel sport ?
- foot... en revenant d'un match à Barcelone, en 58, j'ai pas rejoint le bus du général...
- ?!
- je voulais pas travailler comme mon père pour ne gagner qu'un sac de pommes de terre par an.
58... année de ma naissance. Le cerveau révise l'histoire. Accent de l'Est - Général, Général - Yougoslavie... Je me hasarde :
- Tito ?
- oui, on était quatre à pas reprendre le bus, un est en Amérique, un autre, sa mère pleurait tout le temps, est retourné là bas... je pourrais écrire un livre.
L'homme est affable. Son français imparfait ne l'empêche pas de se faire parfaitement comprendre. Il se livre. J'écoute. Une histoire hors du commun. un homme qui pourrait être mon père me dit sa vie, difficile, son choix, terrible, de ne plus retourner dans son pays pour éviter le pire, d'attendre la nationalité française pour faire, sans risque, le chemin opposé à sa fuite.
Nous marchons toujours d'un bon pas, septième tour. Il est prolixe. Je sais qu'il a marié une française, qu'il a été artisan, qu'il a joué dans des grands club de foot, Monaco, Nice... Mythomanie ? Peu m'importe, c'est une rencontre, il raconte plutôt bien. L'accent donne une tonalité particulière, celle du vécu.
Bien sur, mis en confiance par mon attention, il évoque l'avant et l'aujourd'hui.
L'avant ; difficulté de l'intégration
- A part oui et non, je ne connaissais aucun mot de français...
difficulté du travail. Mais aussi satisfaction d'avoir été accueilli par un pays moins ingrat que le sien.
Puis l'aujourd'hui
- tu fais les courses avec cent euros, le caddy... il est pas plein
enchainant
- j'ai travaillé dur, je sais ce que c'est, la femme aussi elle travaillait dur. A l'hôpital, quand j'ai demandé à rester entre Noël et nouvel an parce que j'avais peur de faire une bêtise après mon opération de la hanche, une jeune rééducatrice m'a dit... c'est nous qui payons ! Elle sait pas ce que c'est de travailler dur...
pour conclure
- ils sont tous pareils, à droite, à gauche... Moi, je vais voter Marine !
!?! ... et merde !